Pouvons-nous éviter les expressions juridiques redondantes en traduction?
Pourquoi les traductrices et traducteurs juridiques rencontrent-ils des redondances?
Pourquoi les traductrices et traducteurs juridiques rencontrent-ils des termes tels que null and void ou last will and testament qui semblent inutilement répétitifs? Une analyse approfondie des origines de ces expressions révèle leurs racines historiques et leurs objectifs fonctionnels, tout en mettant en évidence les défis qu’elles posent à la traduction moderne, notamment entre le français et l’anglais. Comprendre comment ces termes sont apparus et pourquoi ils perdurent est essentiel pour les traductrices et traducteurs, toujours à la recherche d’un équilibre entre précision et clarté.
Les origines du langage juridique redondant
Contexte historique des synonymes jumelés
La redondance dans les textes juridiques provient souvent du mélange des langues dans le système juridique anglais au Moyen Âge. Après la conquête normande de 1066, le droit anglais a intégré des influences du latin, du français normand et de l’anglo-saxon. Afin de garantir la clarté entre ces langues, les avocats combinaient des synonymes provenant de langues différentes, tels que :
- Free and clear (freo en vieil anglais + cler en ancien français)
- Last will and testament (will en vieil anglais + testamentum en latin)
Cette pratique permettait tant aux élites juridiques qu’aux profanes de comprendre les termes spécifiques au droit. Avec le temps, cette combinaison de synonymes s’est ancrée dans la rédaction juridique, servant de garantie contre l’ambiguïté, tout en conférant une certaine gravité.
Pourquoi la redondance persiste-t-elle?
Malgré les efforts modernes pour simplifier le langage juridique, l’association de ces termes reste répandue. Plusieurs facteurs expliquent cette longévité :
Facteurs contribuant à la redondance dans le langage juridique
Plusieurs facteurs expliquent cette longévité :
- Précision : dans les contextes juridiques, de légères différences de sens entre des synonymes peuvent être significatives. Par exemple, dans la locution juridique suffer or permit, suffer implique une tolérance passive, tandis que permit connote une autorisation active. Ces distinctions sont cruciales pour interpréter les obligations et responsabilités juridiques.
- Tradition : les professionnels du droit s’appuient sur les précédents, souvent en reproduisant des termes familiers qui ont résisté à l’épreuve du temps.
- Impact rhétorique : des expressions telles que ordered, adjudged, and decreed créent une impression d’autorité et de certitude.
- Prévention des litiges : la redondance réduit le risque de malentendus, garantissant que les documents résistent aux contestations judiciaires.
Traduire la redondance juridique
Le langage juridique français cherche souvent à éviter la verbosité caractéristique de la rédaction juridique anglaise. Les traductrices et traducteurs doivent naviguer avec soin entre ces différences afin de préserver la clarté des textes sans introduire de complexité inutile.
Exemples d’équivalents simplifiés :
- Last will and testament → testament
- In full force and effect → en vigueur
- Free and clear → libre (par ex. : Un bien libre de toute hypothèque → A property free of any mortgage)
- Save and except → sauf
Les textes juridiques en français s’appuient fortement sur le contexte, ce qui élimine souvent le besoin d’expressions redondantes. Les traductrices et traducteurs doivent reconnaître que combiner des synonymes dans les traductions vers l’anglais peut obscurcir, plutôt qu’éclaircir, le sens.
Conseils pour éviter un jargon juridique inutilement complexe en traduction
- Évitez le littéralisme: Ne traduisez pas les expressions archaïques françaises par leur équivalent anglais, sauf si cela est strictement nécessaire. Par exemple, nonobstant pourrait être mieux traduit par despite plutôt que par le terme archaïque notwithstanding.
- Réduisez les phrases redondantes : Indépendamment de la langue source, visez la simplicité en choisissant un seul terme au lieu de synonymes jumelés. Par exemple, au lieu de traduire alter or change par modifier ou changer en français, ce qui répète la même idée, utilisez simplement modifier.
De même, des expressions comme full and complete peuvent être traduites en un seul terme en français, tel que « complet » ou « intégral », sans perdre leur sens. Par exemple, la phrase anglaise « The tenant must ensure full and complete payment of rent by the due date » pourrait être traduite par « Le locataire doit s'assurer du paiement complet du loyer à la date d'échéance » ou « Le locataire doit s'assurer du paiement intégral du loyer à la date d'échéance ». Cette approche permet d’éviter les redondances tout en maintenant la clarté dans les traductions juridiques. Simplifier les expressions redondantes contribue à rendre le texte plus concis et plus facile à comprendre.
- Cernez le contexte : déterminez si le public visé par le document traduit est composé de professionnels du droit ou de non-spécialistes. Pour un public non spécialisé, y compris les professionnels des affaires ou les personnes extérieures au domaine juridique, il est essentiel d’opter pour la clarté tout en maintenant la précision juridique nécessaire. Évitez les termes juridiques trop techniques et privilégiez un langage clair et accessible, mais veillez à ce que le sens juridique soit préservé. Des termes comme full force and effect peuvent encore être essentiels dans certains contextes pour garantir la précision et la lisibilité.
- Inspirez-vous de la langue source: le langage juridique français peut servir de modèle pour la concision. Les traductrices et traducteurs peuvent s’inspirer de cette clarté pour rédiger des traductions en anglais, en évitant les constructions verbeuses.
Un équilibre pour les traductrices et traducteurs juridiques
Les traductrices et traducteurs doivent trouver un équilibre entre le respect des traditions juridiques et la nécessité de produire un texte clair. Bien que les phrases redondantes aient une importance historique, leur utilisation excessive peut nuire à la lisibilité. En se concentrant sur l’intention et la fonctionnalité, les traductrices et traducteurs juridiques peuvent rédiger des documents qui répondent aux normes linguistiques et juridiques sans surcharger le lectorat de complexités inutiles.
De nombreux spécialistes du domaine, tels que Peter M. Tiersma, Richard C. Wydick et Amy E. Sloan, reconnaissent que l’évolution de la rédaction juridique est lente, mais les traductrices et traducteurs ont l’occasion de faire avancer les choses. En démystifiant la redondance et en privilégiant la précision, ils peuvent honorer l’héritage linguistique du droit tout en le rendant accessible à tout le monde.
Pour en savoir plus sur ce sujet, je recommande les ouvrages et articles suivants :
Legal Language, par Peter M. Tiersma
Plain English for Lawyers, par Richard C. Wydick & Amy E. Sloan
The Concept of Legal Language: What Makes Legal Language ‘Legal‘?, par Ondřej Glogar